gft – gramophone film typewriter

§. *gft. gramophone. film. typewriter

L’ouvrage de Friedrich Kittler est structuré selon les trois registres de la réalité humaine conceptualisés par Jacques Lacan : le réel, l’imaginaire, le symbolique [1].

[1] Jacques Lacan, « Le symbolique, l’imaginaire, le réel », conférence de Société Française de Psychanalyse, 8 juillet 1953. Il n’échappera pas au lecteur que la structure de gft* est exactement l’inverse du titre de la conférence de J. Lacan.

§. L’a-structure de *gft

Le gramophone enregistre le bruit du monde, c’est-à-dire le réel ou au-delà du signifié – qui se révèle de la même manière dans la cure de la psychanalyse.
Le film capte le mouvement des doubles du corps, c’est-à-dire l’imaginaire.
Avec la machine à écrire, le langage se réduit à un stock de caractères disponibles et dénombrables.  « Le symbolique a ainsi le statut de caractères d’imprimerie » (GFT, p.63).

La thèse de Kittler sur la théorie de Lacan est que la structure ternaire de la réalité humaine est le produit – ou la théorisation – de la manière dont les média techniques des années 1900 organisent la réalité.  De la même manière que la philosophie de l’esprit de Hegel théorisait la réalité organisée par le livre imprimé.

*gft est  à la fois un livre d’épistémologie (à quelles conditions les représentations se produisent-elles – ou qu’est-ce qui détermine le savoir lui-même ?), d’anthropologie (comment la réalité humaine se constitue-t-elle ?) et de métaphysique (qu’est-ce qui fait que les chose sont ce qu’elles sont, ou comment le réel s’écrit-il ?).

§. *gft en polémique

*gft est résolument un ouvrage polémique.

* Contre le structuralisme, incapable selon Kittler de penser l’histoire et qui, en tant que théorie, est lui-même un effet des média techniques.

* Contre la phénoménologie pour qui le sujet humain est ce par quoi la réalité se saisit autant qu’elle se construit. Or avant même qu’elle ne soit humaine la réalité est déjà une question technique. Il y a un sujet média-technique à l’oeuvre avant toute oeuvre.

* Contre la philosophie herméneutique pour qui la compréhension se réalise dans et par le langage (cf. M. Heidegger et H.-G. Gadamer). Or, à la question : « comment la compréhension est-elle possible », Kittler ne répond ni par une philosophie de la finitude (cf. M. Heidegger) ni par une philosophie critique de la rationalité instrumentale (cf. l’école de Francfort), mais en soutenant  qu’il n’existe de textes et d’activités humaines que médiatisés par des techniques de production du savoir, en l’occurrence à partir de la fin des années 1900, par les média techniques. Le médium n’est pas le langage mais une machine à produire du langage.

* Contre une vision téléologique de l’histoire qui s’écrirait comme un livre (cf. F. Hegel et K. Marx). Avec les média techniques, et notamment l’ordinateur, l’humain cessera d’écrire pour devenir l’être qui s’écrit par les machines.

* Contre le post-structuralisme de Michel Foucault pour qui l’homme (en tant qu’objet d’étude et sujet de soin) est une construction archivistique, propre à l’épistémè de l’âge classique. Constituée d’énoncés, l’épistémè définit les conditions de possibilités (et d’impossibilités) de l’émergence et de l’obsolescence d’une science, d’un objet technique, d’une règle de droit, remettant en cause de ce fait les notions d’auteur et d’oeuvre. L’archéologie foucaldienne consiste alors à comprendre le « jeu de règles » qui définit les conditions de ce qui est dicible et de ce qui ne l’est pas, mais aussi ce qui est digne d’être conservé ou pas, autrement dit ce qui fait archive. Mais, selon Kittler, Michel Foucault s’arrête en chemin. Il ne saisit pas que si l’archive « produit » et « conduit » le discours, l’archive est « produite » par les média techniques qui, eux-mêmes, sont archives. Ainsi s’ouvre une nouvelle science : l’archéologie des média.

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* texte : Emmanuel Guez
* vignette : Emmanuel Guez, 2015.