§. Résumé en copier-coller (1)
« Comme le remarque Mallarmé avec perspicacité, la littérature ne dit rien, sinon qu’elle se compose des vingt-six lettres de l’alphabet. Ils peuvent, comme Mallarmé ou Stefan George, expulser les voix imaginaires d’entre les lignes et commencer un culte de fétichistes des lettres à l’attention d’autres fétichistes des lettres. Elle poursuit comme science, ce que Mallarmé ou George avaient commencé pour la littérature moderne. Mallarmé lui-même célèbre le regard par la fenêtre de la voiture comme un mouvement de caméra et Schreber, lors de son transfert de l’hôpital psychiatrique de Coswig à celui de Sonnenstein, confond « les formes humaines » qu’il voit « pendant le voyage et à la gare de Dresde [avec] des « images d’hommes « dépêchées là par quelque miracle ». Dans une stricte fidélité à Mallarmé, le cinéma et la radio devaient porter l’art pour l’art dans les domaines visuels et acoustiques. On fixe un papier vide et blanc, arrière-plan de tous les mots depuis Mallarmé, on se bat contre cette infertilité que depuis Mallarmé également l’on célèbre, avant qu’un unique vers puisse être consigné. La « disparition élocutoire du poète » préconisée par Mallarmé devient réalité. « L’écriture pénètre toujours plus profondément dans la zone graphique de son imagéité nouvelle et excentrique » : du Coup de dés de Mallarmé et des Calligrammes d’Apollinaire, qui, comme poèmes typographiques, ne sont que des tentatives d’élever l’écrivain à la hauteur du film et de la phonographie, jusqu’à la poésie concrète, cette poésie pure de machine à écrire ». (F.K., GFT)
§. Deus ex Machina (2)
« Language is a virus from another planet ».
« Le langage est un virus venu d’une autre planète ».
(Friedrich Kittler, « Buchstaben, Zahlen, Codes », in J. Brüning, E. Knobloch (éd.), Die Mathematischen Wurzeln der Kultur, Munich, Fink, 2005).
Jusqu’où ira le Coup de dés ? Rien ne semble pouvoir arrêter le dé lancé par Mallarmé dans l’océan littéraire. ll est l’algorithme des Lettres du 21e siècle, transformant la poésie en art graphique, visuel et sonore, c’est-à-dire en nombre et code. La poésie concrète, le lettrisme, la poésie Sonore, Oulipo, Fluxus, Isidore Isou, Henri Chopin, Raymond Queneau, Dick Higgins, W. S. Burroughs, le Spatialisme, et par définition la littérature « numérique » en sont les enfants. Mais sous Le Coup de dés un nombre et un algorithme sont déjà à l’oeuvre [38].
Dans un article distinguant nombre et chiffre [39], Friedrich Kittler montre qu’avec les Grecs, mots et nombres ne coïncident plus, que le nombre passe du signifié (oral) au signifiant (écrit), qu’il devient chiffre, et qu’en conséquence une lettre peut devenir n’importe quel nombre. Ainsi l’alphabet phonétique grec pouvait-il encoder aussi bien la littérature (lettres), les mathématiques (chiffres) que la musique (sons). Kittler y voit un effet des média grecs et déplore que la philosophie dominante – Aristote –, sous l’effet de la domination de l’écriture, ait fait disparaître cette triple dimension technique et musicale au profit des Lettres. Au 20e siècle l’ordinateur de Turing numérise de nouveau lettres, chiffres et sons.
Dans un autre article [40], Kittler soutient que le logos et la langue ne sont pas une « invention » humaine, qu’ils sont tous deux les produits de codes imprononçables <unaussprechliche Codes> au-delà ou en deçà de tout langage, y compris humain. Nous – même s’il n’existe plus de société à proprement parler – sommes une symbiose entre du carbone et le silicium fabriqué à partir des galets d’où viennent tous les calculi. Nous appartenons nous-mêmes à ce réel encodé dont nous cherchons à percer le secret avec ce qui, précisément et malheureusement, nous encode. Le savoir est d’essence paradoxalement récursif. Avec comme seul indice que nous sommes sur le bon chemin, ce bruit profond et souterrain des média techniques, ou lointain et sourd, venu des origines de l’Univers. Ur-Bug, dirai-je. Et comme seule certitude les guerres perpétuelles – le Mythe de Cadmos n’étant rien d’autre que l’annonce d’une guerre perpétuelle des signes – les cinq spartoi étant aussi les cinq voyelles. Toute archéologie des média, à commencer par celle de Kittler, recèle une métaphysique et une mystique. Chez Kittler, il s’agit d’une mystique cyberpunk.
Du camp liquide, crypto-et-polémologique qui est notre demeure – cette planète-océan aperçue depuis Gagarine et dont nous, maintenant, cherchons à prendre soin, faute de pouvoir nous en extraire – nous n’avons pas encore saisi tous les murs et les clôtures. Nous ignorons même s’il existe une issue. Parce que tel est notre projet qui se reconfigure au gré des média, nous continuons de saisir par le code ce qui nous encode. Et c’est au moment où le son (avec le phonographe en 1877), l’image animée (avec le cinématographe en 1895, petit frère du praxinoscope de 1877) et la lettre (avec la malling-hansen de 1865) sont devenus code, que, surpris dans l’ouragan océanique qui faisait sombrer l’écriture non discrétisée du livre imprimé, Mallarmé ouvrit en 1897 un nouveau cap à la littérature. Depuis, les dés n’en finissent pas de rouler, générant sans cesse de nouvelles aphrodites et poussant les surfeurs et les navigateurs à poursuivre une recherche sans fin.
[38] Cf. l’analyse de Quentin Meillassoux soutenant l’hypothèse que le Nombre (crypté) du Coup de dés est 707. Meillassoux Quentin, Le Nombre et la Sirène, Paris, Fayard, 2011.
[39] Cf. Friedrich Kittler, Number and Numeral [Zahl und Ziffer (2003)], trad. G. Winthrop-Young, Theory, Culture & Society, n°23 (7-8), 2006. (SAGE, London, Thousand Oaks and New Delhi), Vol. 23(7–8).
[40] Friedrich Kittler, « Buchstaben, Zahlen, Codes« , in J. Brüning, E. Knobloch (éd.), Die Mathematischen Wurzeln der Kultur, Munich, Fink, 2005. Cf. aussi Sybille Krämer et Horst Bredekamp, Bild – Schrift – Zahl, Munich, Fink, 2008.
§. Matériau pour une suite de « Jamais un Coup de dés n’abolira le hasard » (3)
SHA0
aa3bc3737ff80d1c8fdf7670710d8bede0d1d175
SHA1
b8d36a5930011f54917177be56efb5e00f3f8f41
SHA2-224 (SHA224)
835c30b49314b0d767a03b87bf5de2bd413f9e185577
d7eafb4df9c0
SHA2-256 (SHA256)
c9a076c16f45167bb9e32653e386bd76745df87016cb
9241aac941a2c7a7a149
SHA2-384 (SHA384)
8ba1699436ffdb227df01f2541b4cfc7298a4183266f3
bc1ce12bbae9a4e6ac46c94ebc451f16261c9ea5e1b73
aa6372
SHA2-512 (SHA512)
33ca0caf816e1de5f88ff21e88dbe466670e31357ae39
43bcd68a2ee9b3532ed1d8e0f8d1d6950e095944a3e4e
cd08838c5f2e5c6680cbceec981b4f2db7544a
SHA3-224
32daf4117f28fbbc7face2b2c3e7e94238388e71779
e7dca7967075b
SHA3-256
701a9662cf0b2b868e3e389e76da40e18a85cdfb31f
4c7733283b7f9eb8f8a20
SHA3-384
d1fe8e5c4313d771d39423900a00a63686c801efef4
24f7b83fead0a0f84aeef76641cd313f3186a235c20
bf5f767029
SHA3-512
ed0284d9c7f9e3fb00962936116a6135f4ce67c1f5b
6c7a79c2f02d0cf7d360997af23a8a6fb4d817a3a3c
3f7eebee023538da767923014f13cb8bc0bf26837d
SHAKE-128
d99ae90c95074a6de6cf0489fbda141c
SHAKE-256
9b97c835cabda5817a2ffa11024e76c870ca9d6168f
6017e66cbfca314277fba
/
* texte : Friedrich Kittler (copier-coller) et Emmanuel Guez
* vignette : Monochrome – SHA2-512