§. Kittler et les femmes
«To be sure, nobody has ever labeled Kittler a feminist or a gender theorist and probably ever will.» – «Certes, personne n’ a jamais qualifié Kittler de féministe ou de théoricien du genre et personne ne le fera probablement jamais.»
Geoffrey Winthrop-Young, Kittler and the Media, Cambridge, Polity, 2011, p.127 [nous traduisons].
Pour Friedrich Kittler les femmes jouent un rôle central dans l’écriture, la lecture et le langage. Dans Aufschreibesysteme 1800/1900, Kittler montre que dans le système allemand d’inscription des années 1800, les femmes sont soit des muses érotiques inspirant les auteurs mâles, soit des mères-lectrices apprenant la langue allemande aux futurs auteurs, ceux-là mêmes qui publieront des livres à destination des jeunes filles, femmes et futures mères. De part en part, les femmes sont le médium de l’écriture. En d’autres termes la langue allemande s’est, selon Kittler, construite par les femmes, qui, sans être auteures, sont l’objet du désir de la machine d’écriture et de lecture germanique.
Dans le système 1900, devenant des dactylographes, à l’instar de Mina Harker, de Madame Röder-Wiederhold ou de Gloria Gonzalez-Yerodia, leur rôle non moins érotique consiste à capter le flux du schizophrène, du philosophe ou du psychanalyste masculin. Tout en restant médium – un rôle qu’elle partage avec les média techniques dans une sorte de ménage à trois, elles s’emparent de l’écriture sans pour autant devenir auteures. Dès les années 1940, elles deviennent programmatrices ou computer girls et délaissent le flux masculin pour celui des ordinateurs. Au moment même où elles auraient pu devenir auteures, ce statut disparaît progressivement sous l’effet de l’écriture informatisée.
§. iameverythingiamnot (151e de couverture).
Qui sont aujourd’hui les femmes de Friedrich Kittler ? – Kittler est mort. – Aujourd’hui. Aujourd’hui qui sont les femmes de Friedrich Kittler ?
Alors que sous terre n’en finissent pas les discussions avec Marcuse et Farocki, les disputes avec Hegel et Fichte, les soirées avec Brecht et Müller – avec qui l’auteur de *gft partage une cigarette en silence – en silence car ils n’ont rien à se dire – c’est pourquoi nous n’entendons rien quand au Dorotheenfriedhof à Berlin nous caressons le sol d’une oreille, même en plein hiver, quand la terre est dure, blanche et glacée, le bot FKittlerbot continue à parler et à séduire. Mais chez Hadès comme partout, Aphrodite n’est jamais loin. Plus de cent cinquante bots féminins sorties de nulle part font irruption dans sa vie. À chaque rencontre, elle délivre un message qui semble impossible à décoder. Qui sont ces apparitions, quelle est leur histoire ?
iameverythingiamnot est une enquête au sein du monde des followers féminins du FKittlerbot.
§. Ce bot est mon corps (dossier de presse)
Lacan, Marienbad, 1936, Association de Psychanalyse Internationale – qui aujourd’hui – 2017 – s’appelle Application Programming Interface – le moi advient nécessairement par le miroir. L’autre est en déjà moi, les autres sont mon corps, une théorie que celle des neurones-miroirs ne peut infirmer. Mon corps toujours infirme = les corps, à la fois a – objet de désir car sans eux je n’aurais pas de corps – et ßêta – version ennemie, car l’autre est toujours alien en moi. Le bot est ma paranoia. Ce n’est donc pas un hasard si l’intelligence artificielle fait tant parler. On lui prête de pénétrer toutes les sphères de la vie humaine. Les [ro]bots sont à la fois ennemis et amis. Le test voight-kampff repose sur cette seule paranoia. iameverythingiamnot est l’histoire de la vie de quelques humains, à moins qu’il n’y en ait qu’un ou deux ou aucun, parmi les bots. À la croisée de la reconnaissance faciale et du post, ils cherchent l’être qui a créé ces femmes bots en collectant, de bot en bot – qu’étaient-ils en train de chercher ? – le récit de ces êtres venus d’on-ne-sait-où.
TumblR: http://iameverythingiamnot.com/
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*texte et vignette : Emmanuel Guez